I - L'amour envolé, le fruit est né.

« Akar.. S'il te plaît..
- Oui, je suis là. Je ne partirais pas, je resterais avec toi.
- Notre fille, Cheedo, est-elle saine et sauve... ?
- Elle possède tes yeux, Vesta n’a pas hésitée à te remercier de lui donner une nouvelle âme. »

Akarman est anxieux, il tient délicatement la nuque de son épouse le ventre légèrement ouvert dont le sang coule encore - le sang d’un accouchement compliqué. Là-haut, tous les trois perchés dans la petite cabane en bois, le père de vingt-ans ne s’attend pas à perdre celle avec qui il partage sa vie depuis des années. Son amie d’enfance, son amoureuse des premiers jours, la femme de sa vie. Ce qui appartient à Vesta, revient à Vesta un jour. L’heure était venue de lui dire au revoir, de l’embrasser une dernière fois le temps que ses lèvres puissent encore sentir la chaleur de celle du jeune garçon.

« Merci pour tout, merci de m’offrir la fille que nous avons tant attendue. Je t’aime, Akarman, n’en doute jamais. Je dois partir maintenant, mes forces retournent auprès de Mère. »

La main de la souffrante s’avance doucement vers la joue du chasseur maladroit, caressant lentement celle-ci, il sait. Alors il glisse lui aussi sa main sur celle de la brune, glissant ses doigts tremblants avant de répondre, doucement, amoureusement, aux paroles sages.

« Que Vesta veille sur toi comme je veillerais sur notre fille. Je t'aime. »

Les paupières se ferment, le souffle s’arrête. Elle n’est plus. Plus sous sa forme charnelle, mais elle est là, autour de lui, elle va veiller sur lui, le guider comme jamais auparavant. Elle était tout pour lui, Cheedo doit prendre sa place. Il va s'y forcer, s'y obliger. Sa fille ne quittera la terre ferme que par mort naturelle, rien ne pourrait lui arriver. Rien.


Elle est là, les cheveux aux vents, le regard doux, sourire couvrant ses lèvres. Douce enfant qui ressemble à sa mère, défunte mère. Elle vise, elle s’entraîne. Exactement comme sa mère, elle veut devenir chasseuse. Certainement plus douée que le père, en tout cas.

« Lève ton arc un peu plus haut, tu vas louper ta cible.
- Mon vieux papa, ce n’est pas à toi de me dire comment tenir un arc ! Tu ne sais même pas couper droit ! »

Le même rire, la même petite femme. Courageuse enfant qui accomplira des choses magnifiques dans quelques années, enfin, il y croit.

II - Fruit arraché, les pétales sont tombées.

Soixante-seize ans, des petits enfants, un beau-fils, une fille majeure et mature. Il ne pouvait rien demander de plus hormis la présence de son épouse. Cette cabane est beaucoup trop grande pour lui, il n’a besoin que d’un lit et d’une pipe. Alors qu’il avait la tête plongée dans des plantes toutes aussi farfelues les unes que les autres, le ciel devient noir, sombre. Vesta serait-elle enragée aujourd’hui ? Il va finir par le croire. Gardant sa concentration pour les plantes, car d’après lui ce n’était que quelques nuages, ce sont les hurlements qui forcèrent le doyen à sortir de sa tanière. Mais une fois les yeux rivés à l’extérieur, il aurait préféré ne rien savoir et voir pour le moment. Des flammes, des braises, des boules flamboyantes dans le ciel. Rien de bon. Semblable à l’extinction des dinosaures auxquels il peut se qualifier. Les hurlements n’arrêtent pas, au loin Lysian cherche des réponses, aide certaines personnes à se relever. Le petit Amarok, le plus courageux des blessés, hurle au Vieux Sage de préparer quelques pommades pour les grands brûlés. Alors que le doyen allait chercher ce dont il avait besoin, sa petite fille, la perle de son trésor, s’avance les yeux blessés, l’âme détruite à travers la fumée, les cendres et les flammes. Ses mains sont sales, du sang. Cheedo. Le cœur du doyen s’arrête presque, frôlant la mort, mais Vesta n’allait pas lui donner son heure maintenant. Cheedo. Il ne sait plus bouger, ses jambes ne retiennent presque plus son corps, il prend appui sur sa table. Cheedo. Sa princesse, sa fille. Où est-elle. Elle ne peut pas. Pas maintenant. Elle ne peut pas mourir.

Ce qui appartient à Vesta, revient à Vesta.
Elle est partie, elle aussi.