HistoireTu vois loin comme quand on ne sait rien et que l'on sent tout
I • Redis-moi, toi qui n'es plus là, ça fait quoi
d'être libre ?La température de cette nuit de saison humide était bien trop élevée pour envisager de bouger ne serait-ce que le petit doigt. Alwena étalée de tout son long au milieu de la grande pièce de l’arbre-maison de sa famille, feuilletant les pages d’un vieux bouquin de sa mère. Du haut de ses 9 ans elle n’arrivait pas encore à comprendre tout les termes utilisés, pour l’instant elle regardait les belles images qui accompagnaient un texte dont elle ne faisait que déduire le sens.
Son grand-père l’avait autorisé à emprunter les livres de sa mère, ils en avaient toute une étagère, couverte de feuilles et de dessins, certains signé de la main de sa mère d’autres par ses ancêtres de la Terre. Ils montraient des études de la faune et de la flore de Vesta mais aussi de l’espace pour les plus anciens, la petite fille adorait effleurer ces étoiles fictives en se disant que ces gens les ont vus pour de vrai, peut être de très près.
Lorsque les journées étaient bien trop chaudes et humides comme aujourd’hui, elle adorait rester chez elle et rêvasser. Elle fantasmait beaucoup sur l’ancienne Terre comme sur tout ce qui l’intéressait, son imagination débordante pouvait la clouer tout un après midi face aux étranges livres de sa mère. Beaucoup la trouvait étrange cette petite, toujours à poser beaucoup de questions sur la Terre… les anciens en devenaient presque gênée face à cette curiosité débordante. On ne pouvait pas vraiment le lui reprocher, à l’école on n’abordait toujours pas la question Terrienne… Quand il était question des enseignements sur Vesta et ce qui les entouraient la petite fille en devenait aussi vite frustrée face aux mystères de leur planète et son imagination d’enfant ne cessait de la travailler à ce sujet.
La seule personne qui aurait pu répondre à ses questions c’était sa mère, une bonne chasseuse qui profitait des heures de chasses pour étudier et dessiner la faune et la flore de la forêt où les Grounders avaient élus domicile. Une scientifique aguerrie qui lors de ces escapades solitaires fit la malheureuse rencontre d’un alphalupus, vous devinez bien vite que ces chances de survie furent bien minces…
Alwena n’était encore qu’un bébé d’à peine un an lorsque l’accident survenu, le père de cette dernière eu beaucoup de mal à accepter la mort brutale de sa compagne. On ne lui a jamais vraiment dit comment il avait fini mais il avait laissé sa fille à sa belle-famille avant d’entamer un voyage, pourquoi ? Il c’est bien garder de leur dire. Il arrivait des fois à Alwena de penser à cet homme qu’elle aurait dut appeler « papa » et à qui elle devait à moitié la vie, il n’y avait dans ces pensées aucune nostalgie ni remords, pourquoi regretter ce qu’on a jamais connu ? Elle y pensait comme un mystère de plus, une question qui n’aura encore une fois aucune réponse… Quand à sa mère, faute de ne pouvoir éprouver de la tristesse puisqu’elle ne l’a jamais connue, elle l’admirait, la voyait comme un mentor invisible qui, par ses écrits, l’encourageait à la suivre. Bientôt l’intérêt de la petite pour les bouquins de sa mère inquiétait les grands parents d’Al’ et lui faisaient savoir que ses lectures et ses rêves avait été la cause de la mort de sa mère. Mais Alwena ne l’entendit bien évidemment pas de cette oreille, c’est pourquoi encore aujourd’hui elle était couchée sur le sol à feuilleter.
Un craquement se fit entendre dans l’entrée de la maison-arbres, la petite fille leva la tête et aperçut sa tante dans l’embrasure de la porte. La jeune femme rentrait de la chasse et portait encore sur le dos une veste de cuir sentant bien trop fort le Sleipnir. Alwena s’en fichait bien de l’odeur, sa tante, qui répondait au doux nom de Seena, était la femme la plus compréhensive, combative et intelligente que la petite connaisse. Seena était tout pour Al’ : sa sœur à cause de leur âge rapproché avec seulement 9 ans d’écart, sa meilleure amie et quelque fois même sa mère adoptive. La petite bondit sur ses pieds et courut se jeter dans les bras de cette femme au sourire chaleureux et fourra son visage dans ses longs cheveux bruns. Bientôt les câlineries cèderont aux discussions enflammées, l’une parlera de sa longue journée de chasse et devra décrire tout ce qu’elle a vu à la jeune érudite en herbe, tandis que l’autre montrera tour à tour les dessins de sa mère et les mots compliqués qu’elle a appris.
Souvent les autres adultes la regardaient avec un air de pitié, des « pauvre petite » en écho, Alwena se moquait bien de ses personnes qui ne savaient être que négatif. Elle était heureuse, enveloppée d’amour, pourquoi fallait-il la plaindre ?
II • Où va-t-on quand on a les yeux fermés ?- Rassurez-vous, dans quelques jours le fil partira puis avec le temps vous oublierez que je vous ai troué la peau.La voix de la jeune femme était à la fois rassurante et cynique, elle entendit quelques petits rires à côté d'elle. La pique fut mérité, la pauvre femme semblait ne s'être jamais fait recoudre tellement elle avait eu peur de la petite aiguille et du pauvre fil blanc.
Alwena nettoya puis rangea son fil et ses aiguilles dans son sac, lava ses mains tandis qu'autour d'elle on aidait la chasseuse, qui semblait approcher la quarantaine, se lever. Cette dernière la remercia, son petit sourire cachait mal son malaise et la peur qui la tourmentait encore. Le jeune médecin sourit à son tour, puis rajouta que la blessée devait éviter toute activité de chasse durant quelques jours et donna au fils de la blessé les soins à lui donner le temps de sa convalescence, ensuite elle quitta le groupe de chasseurs.
Il était déjà bien tard, la chaleur d'habitude étouffante avait disparue avec le soleil depuis bien longtemps, il était temps pour elle de rentrer.
La jeune femme avait depuis longtemps perdu ses joues d’enfants, elle était devenue une adulte fière, décidée et toujours aussi avide de savoir. Elle avait fait le choix de la science plutôt que de la chasse, un choix qu’elle ne regrettait pas. Pourtant elle n’aimait pas tellement rester coincé dans les murs de l’hôpital, ce qu’elle aimait c’était aller accompagner les chasseurs et les soigner sur place comme elle venait de le faire aujourd’hui, l’adrénaline n’était jamais loin et la possibilité d’observer la faune et la flore de la forêt de Vesta l’enthousiasmait tellement que sa grand-mère priait les matins où elle accompagnait les chasseurs la planète mère pour qu’elle lui laisse la vie sauve.
Sa tante l’attendait encore malgré l’heure tardive, à son regard étonnamment sombre Alwena se douta que cette dernière ne l’accueillait pas avec de bonnes nouvelles. Le reste de la maisonnée était déjà partie se coucher, la jeune femme éviterait les questions fleuves de son petit cousin pour ce repas. Sa tante, avec ses racines de cheveux désormais grisonnantes, ne dit pas un mot tandis qu’Alwena engouffrait le repas que sa grand-mère avait préparé plus tôt.
-Qu’est ce qu’il se passe ? Finit par demander la jeune brune, agacé par le silence persistant et étonnant de sa tante.
Cette dernière resta prostrée dans son silence, comme si elle ne trouvait pas les mots.
-Ecoute Seena si t'a quelque chose à dire tu sais bien que…-On a eu des nouvelles de ton père, la coupa sa tante soulagée de l'avoir enfin craché.
La brusque révélation coupa la parole d'Alwena, la jeune femme resta interdit quelques secondes l'air ahuri, comme si elle ne comprenait pas ce qu'on venait de lui dire. Cet homme, son…son père, elle l'avait pourtant enfouie au tréfonds de sa mémoire d'enfant. Pour elle il n'y avait pas eu de père, elle s'était débarrassée de son absence en se persuadant qu'il était mort, lui aussi.
Seena continua d’une voix douce, évitant de brusquer plus la brune dont le teint avait perdu déjà deux teintes :
-Des Grounders du clan l’ont aperçus dans les environs… ils ont dit à ton grand-père qu’il semblait chasser enfin il est plus probable que la raison de sa présence leur échappe. Je me demande ce qu'il a pu faire pendant toutes ces années... -C’est bon tais-toi. L’interrompit Al’ d’une voix blanche,
laisse moi s'il te plait.La tante la regarda d’un air désolé, rajouta :
-Nous avons tous pensé qu’il fallait mieux que tu saches…Elle posa une main sur l’épaule d’Alwena, un baiser sur son front comme lorsqu’elle était une enfant puis alla rejoindre son lit, laissant la jeune femme seule dans l’obscurité.
Alwena resta longtemps à admettre ce que venait de dire sa tante. Ce père n'avait jamais vraiment existé pour elle, il était comme ésotérique, comme la symbolique de l'héritage littéraire de sa mère. Ce soir c'était même la première fois qu'elle entendait parler de lui, ce sujet avait toujours été évité autour d'elle, d'ailleurs elle qui n'était jamais à court de question n'en avait curieusement jamais posé. Sa conscience de petite fille l'avait relégué au rang de substance, un être coincé dans son inconscient. C'est ainsi que la jeune femme avait évité ce sentiment de solitude que tout enfant privé de ses parents pouvait ressentir. Elle finit par se convaincre que les Grounders qui l’avaient aperçus c’étaient forcément trompé, qu’ils l’avaient peut être confondus avec un spacewalker perdus, et alla à son tour rejoindre son matelas.
Et s'il existait encore ? Et s'ils l'avaient vraiment vu ? Et si elle allait le rejoindre ? A quoi est ce qu'il ressemble ? Comment l'accueillera-t-elle ? Alwena soupira, déçue de sa propre curiosité, désormais elle ne dormirait plus, son esprit tourmenté par cette nouvelle question : « où est-il ? ».